RENCONTRE
Denis Plassard, entre danse et jeu
Artiste associé d’Onyx pour la deuxième année consécutive, Denis Plassard est un chorégraphe qui fait facilement l’unanimité. Le mois dernier, à quelques jours de la première de sa création de résidence, Suivez les instructions, nous avons fait connaissance avec un artiste qui interroge les notions d’altérité et de mouvement, avec humour et décontraction. Interviewé pour Fragil, Denis Plassard s’est prêté au jeu, un art qu’il maîtrise.
Nous sommes à quelques jours de la première de Suivez les instructions, et donc à la fin de votre résidence à Onyx. Une résidence a-t-elle une influence particulière sur votre processus de création ?
Oui, j’ai réalisé au fil des années que l’endroit où je suis en résidence a une influence sur la création en elle-même. C’est indicible, à peine palpable, mais c’est là. Je pense aux projets très longtemps à l’avance, mais dès le premier jour où je sais que ça se fera quelque part, je fantasme le spectacle entre ces murs-là. Si je fais la création à Lyon, à la Maison de la Danse où je suis également artiste associé, ça n’a rien à voir. C’est une grande salle de 1100 places, un lieu prestigieux. Et ce sera encore très différent dans une toute petite salle, même si le spectacle tourne ensuite ailleurs.
Pour Suivez les instructions, quel a été votre rythme de travail ?
Plusieurs mois d’allers-retours, et une semaine de résidence. On a commencé au printemps dernier, d’une manière très éclatée, par petits rendez-vous. Toutes les répétitions ont eu lieu dans notre studio à Lyon et on a eu 10 jours ici. Mais c’est précisément là que le spectacle se transforme le plus. C’est comme une révélation, il prend enfin sa forme précise.
Cette intimité entre vous et le lieu de création, on la retrouve aussi dans votre lien avec le public : vous dévoilez facilement votre processus de création. Y a-t-il chez vous un besoin de créer un lien personnalisé avec le public ?
Je prends beaucoup de plaisir à créer et j’aime faire rentrer les gens dans ce plaisir de la construction. Quand on voit un spectacle, on croit facilement que ça tombe du ciel ! Je trouve important de dévoiler le processus concret qui précède : ce qui est laborieux, artisanal, qui dure des jours et des jours. Et j’aime aussi que ça se ressente dans le spectacle. J’aime le côté jeu, les règles du jeu. J’aime que les spectateurs puissent comprendre comment ça s’emboîte. Je ne suis pas quelqu’un qui travaille dans le mystère ou la révélation. Ça ne me gêne pas de discuter de mes partis pris, ni même d’être critiqué. Inviter le spectateur à rentrer « dans la cuisine », ça permet de dédramatiser. Ce qui me passionne dans le mouvement, c’est le rapport à l’interprétation, à l’ambiguïté, à ce qu’on peut en deviner. Ce qui ne m’empêche pas d’adorer en tant que spectateur aller voir des spectacles dans un registre totalement différent, et notamment des choses très abstraites. Je me moque un peu de ceux qui sont dans la posture, mais parfois j’admire ces artistes-là. Je les envie presque car j’aimerais faire des choses plus radicales. Mais je ne peux pas aller contre mon travers : rire et partager ce rire avec le public.
Ça ne me gêne pas de discuter de mes partis pris, ni même d’être critiqué. Inviter le spectateur à rentrer « dans la cuisine », ça permet de dédramatiser.
En faisant cela, vous vous démarquez d’ailleurs de la plupart de vos pairs. Comment vous positionnez-vous dans le paysage chorégraphique contemporain ?
Quand j’ai commencé ce métier, on m’a dit que ce que je faisais n’était pas à la mode ! C’est à la fois un inconvénient et un avantage, car en même temps, je n’ai jamais été hors-mode non plus. Il m’arrive de danser à nouveau mon premier solo, et je constate qu’il n’est pas plus ou moins à la mode aujourd’hui qu’à l’époque. Je ne suis pas plus dans une mouvance que dans une autre.
Avez-vous travaillé avec d’autres chorégraphes ?
Très peu. Certaines compagnies me sollicitent, mais c’est davantage pour un regard que je porte sur leur travail. L’âge aidant, je deviens une sorte de sage que l’on va voir et consulter. Par exemple, je travaille en ce moment avec une compagnie de cirque.
Le cirque, le théâtre… on sent que vous aimez mélanger les disciplines...
J’ai ce goût de la diversité, je suis très émoustillé de travailler pour le théâtre ou le cirque ! J’essaie d’ailleurs de faire d’une pièce à l’autre des choses très variées. Pour Suivez les Instructions on va avoir ce mélange entre danse, jeu théâtral et jeu tout court.
Dans votre travail en effet, l’amusement est très présent. Parlez-nous de votre goût pour le jeu...
Je suis un joueur ! Je vais d’ailleurs créer un jeu de société basé sur le mouvement, pour le prochain festival de jeux de Saint-Herblain. Ca s’appelle La Clinique du Docteur D., c’est une histoire de psychopathe (rires). J’ai un rapport au jeu qui est vraiment très présent dans mon travail. Ma référence définitive, ce sont des gens comme Pérec. Un mélange de contraintes et de jeu…comment réussir à exprimer avec le jeu, en se donnant des règles et des contraintes sans que ça devienne une forme pour une forme. Je suis très exigeant sur la forme en me donnant des règles et en même temps, j’essaie de la transcender, pour qu’il se passe malgré tout quelque chose.
On rit en effet beaucoup dans vos spectacles. Ce n’est pas courant en danse contemporaine...
Non c’est vrai. Mais ça a commencé comme ça dès mon premier solo. Au départ je ne l’ai pas forcément très bien vécu : j’avais créé ma deuxième pièce, le trio Pour Voir, dans le cadre d’un concours. Je suis allé en finale et j’ai remporté …le prix de l’humour ! J’ai été très vexé à l’époque, je voulais le premier prix ! Mais j’étais le seul qui faisait un truc drôle. Rire pour moi, c’est une évidence. Je ne pourrais pas faire une pièce où il n’y aurait pas de décalage. Rire n’est pas le but de mes pièces, mais j’ai beau travailler très sérieusement, me donner à fond, ça revient toujours. Les spectacles que j’ai essayé de faire sans humour n’ont pas marché. C’est ma façon d’être, et je l’ai transposée dans mon travail.
Rire n’est pas le but de mes pièces, mais j’ai beau travailler très sérieusement, me donner à fond, ça revient toujours.
Suivez les instructions est une pièce créée dans le cadre de Nijinskid , le festival danse jeune public d’Onyx. Êtes-vous familier de l’exercice ?
C’est un spectacle que j’ai voulu jeune public mais accessible aux adultes. Je me suis vraiment donné cette consigne. Ce doit être un spectacle très parlant pour les enfants, ancré dans leur univers, avec un côté clownesque pour qu’ils puissent appréhender le spectacle avec leurs yeux. En même temps, je souhaitais que les adultes puissent aussi l’apprécier à leur niveau, que ce soit croustillant de différentes façons.
J’avais déjà fait une pièce jeune public, Dans les coins, qui était un spectacle d’ombres. J’avais fait une première version, qui était géniale pour les adultes mais qui ne marchait pas du tout avec les enfants. J’avais eu tellement peur à la création de faire un spectacle « gnangnan » que je l’avais rendu totalement inaccessible pour les enfants. J’avais dû le retravailler complètement, en tirant les enseignements de ce premier échec.
Et c’est reparti l’année prochaine pour une troisième année de résidence à Onyx. Quels sont vos projets ?
Avec Suivez les Instructions, je vais commencer un cycle de trois pièces, ce qui est inédit pour moi. Je me suis rendu compte que les pièces que j’empilais les unes après les autres ces dernières années avaient un lien commun : elles tournent toutes autour de l’idée de la manipulation. Ici, c’est autour de la manipulation verbale, la prochaine, ce sera de la manipulation au premier degré, puisque que je vais faire un spectacle pour danseurs et marionnettes. J’ai fait pour la Biennale de la danse à Lyon un gros travail avec des danseurs amateurs - 400 Italiens de Turin et 400 Lyonnais - autour de la marionnette. J’ai travaillé avec Émilie Valantin, une grande dame de la marionnette en France. C’était passionnant et frustrant à la fois : on ne peut pas aller très loin quand on fait danser 800 amateurs ! Il fallait absolument que j’aboutisse à autre chose de plus intime avec ça. La pièce suivante abordera donc à la fois la question de la manipulation et celle du dédoublement qui est déjà présente dans Suivez les Instructions.
Pour explorer ces notions, par quoi passez-vous ? Par des lectures, des recherches, par l’écriture ?
J’écris beaucoup. Il y a deux étapes pour moi dans le travail. Tout d’abord, un travail sur des questions fondamentales qui m’accompagnent de pièce en pièce, sur le mouvement, la lecture que l’on a du mouvement, la personne, le dédoublement, ce qui identifie, sépare. Les notions de compréhension et d’ambiguïté me fascinent, elles gravitent autour de moi. Par exemple, je rêve d’écrire une pièce entièrement au ralenti. J’imagine une scène qui dans la vraie vie durerait 10 minutes et sur scène 1h30. Je note mes idées dans mes petits carnets, comme un fantasme. Après je fais des recherches, je lis, j’enquête sur ce qui a déjà été fait autour de ça. Cette idée de ralenti, je l’ai retrouvée par exemple sur une œuvre vidéo de Bill Viola. Je me nourris de tout ça ; c’est très opportuniste. Dans la deuxième phase, je suis dans l’artisanat, dans le concret, je deviens un artisan. Si je me posais des questions à ce moment-là, je perdrais du temps, ça me disperserait. C’est une phase où il faut que je sois têtu. Je ne demande l’avis de personne. A posteriori, il m’est arrivé de me tromper. Mais c’est le jeu.
Propos recueillis par Séverine Dubertrand
Photos : Hugo Mourocq
Pour découvrir le travail de Denis Plassard : http://www.compagnie-propos.com/
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