Entretien avec Eric Perez
Saint Céré 2012 : De Mozart à Léo Ferré
Artiste authentique et atypique, Eric Perez pratique le mélange des genres avec une grande sincérité. Comédien, metteur en scène d’opéra et chanteur de cabaret, il nous livre certaines de ses priorités, dans sa pratique artistique. L’édition 2012 du festival de Saint Céré reprend sa mise en scène de La flà »te enchantée, et Graine d’ananar, à partir de chansons de Léo Ferré.
Fragil : L’opéra de Massy a connu un beau succès, en reprenant, en janvier 2012, votre vision particulièrement intense des Dialogues des carmélites de Francis Poulenc. Quel regard portez vous sur ce spectacle ?
Eric Perez : Tout me touche dans cette œuvre forte, qui parle de doute, de grâce et d’angoisse de vivre. La fin en est particulièrement traumatisante. De plus, j’adore le texte de Georges Bernanos. C’est une alliance géniale entre musique et littérature, ce qui me comble. Je crois qu’il s’agit de la plus belle chose que j’ai faite, ce dont je suis le plus fier. Il y a parfois des moments de grâce entre une œuvre, le regard qu’on lui porte et l’investissement de chaque artiste. Une telle adéquation n’arrive pas souvent. Nous nous sommes tous retrouvés dans le même mouvement et je suis extrêmement heureux d’avoir eu l’occasion de reprendre ce spectacle que j’avais créé à l’opéra de Dijon en 2005.
Fragil : Vous reprenez plusieurs spectacles au cours de l’édition de Saint Céré 2012. Que représente pour vous ce festival ?
E-P : Il représente toute ma vie puisque je suis arrivé dans ce festival à l’âge de 23 ans, j’en ai aujourd’hui 48. J’en suis un des piliers, j’ai contribué à sa création et suis toujours conseiller d’Olivier Desbordes. J’y viens chaque été pour y faire des expériences diverses et variées et c’est vraiment là que j’ai appris mon métier. Il règne, dans ce festival, en esprit particulier et sa marque de fabrique est le mélange des genres. On essaie de travailler autrement, sans a priori, sectarisme ni élitisme. S’il n’y avait pas Saint Céré, je ne ferais pas à la fois du cabaret, de la chanson française, de l’opéra et de la comédie musicale. Un tel éclectisme est rare et précieux. C’est un lieu où on est libre d’avoir sa personnalité. C’est moi qui ai amené Michel Fau, dont on a repris le Rigoletto l’an passé, sur ce festival. C’est un ami d’enfance. Parmi les piliers, Olivier Desbordes, le directeur, et Eric Vignau ont créé l’esprit de Saint Céré.
Ce qui prime, dans ce spectacle, avant toute autre chose, c’est le jeu, et le plaisir, la gaieté et la liberté. On a le droit de s’amuser sur scène
Fragil : Cette année, on pourra en outre revoir votre mise en scène de La flûte enchantée, créée en 2009 et beaucoup reprise depuis. Quels sont les grands axes de votre mise en scène ?
E-P : Ce qui prime, dans ce spectacle, avant toute autre chose, c’est le jeu, et le plaisir, la gaieté et la liberté. On a le droit de s’amuser sur scène ! Cette joie est communicative puisque lors d’une récente reprise à Perpignan, les spectateurs étaient debout à la fin de la représentation. Le charme de cette flûte, c’est que certains passages sont toujours à améliorer, ce qui permet d’inventer sans cesse. S’il y avait un opéra que je voulais monter avant de l’aborder, c’est bien La flûte enchantée. Il s’agit d’un parcours initiatique, mais qui ne s’accomplit pas dans la souffrance. Chacun est complice, y compris la reine de la nuit. La douleur qu’elle amène appartient à l’initiation, dès le départ, mais elle fait partie du jeu.
Fragil : Comment abordez vous une mise en scène d’opéra ?
E-P : J’écoute l’opéra et je laisse surgir les images, pour construire un monde imaginaire. Tout ce que je peux voir ou ressentir va nourrir mon travail, que ce soit un film, une exposition ou de la danse. Je regarde rarement d’autres opéras. J’avais toutefois vu, pour les dialogues des carmélites, une vidéo de la mise en scène de Marthe Keller, proposée à Strasbourg et, pour Eugène Onéguine, de celle de Dmitri Tcherniakov montée au Palais Garnier. Je vais rarement à l’opéra. Ce n’est pas là que se trouve ma source d’inspiration. En montant les Dialogues, j’ai puisé dans des références cinématographiques, en pensant à l’univers très épuré de Robert Bresson, qui avait lui même adapté des textes de Bernanos, dont le journal d’un curé de campagne. Pour la flûte enchantée, je me suis nourri de mon expérience personnelle. Je n’ai aucun problème pour faire un choix pictural ou scénographique, en fonction de ce que j’ai envie de dire avec cette œuvre. Je demande ensuite aux acteurs de vivre dans cet espace. Je prends ce qu’ils me donnent et je construis avec eux et en tenant compte de ce qu’ils sont, ce qui me semble très important. J’essaie de regarder qui sont les gens en face de moi, pour qu’ils restent libres et heureux sur scène.
Fragil : Au cours de cet été (le 17 Août à Cahors et le 18 à Saint Céré), vous allez aussi interpréter graine d’ananar, construit autour de l’univers de Léo Ferré. D’où vous est venue l’idée de ce spectacle et comment le présenteriez vous ?
E-P : Ce spectacle est assez ancien puisqu’il date de 2001. A l’époque, j’avais envie de faire un spectacle seul. Olivier avait acheté un disque des premières chansons de Léo Ferré, édité au « chant du monde ». J’ai eu envie de me les approprier. Ferré dit exactement ce que j’ai envie de dire et c’était la première fois que je montais seul sur scène, avec Roger Pouly, un des plus grands pianistes accompagnateurs, qui a travaillé avec Charles Trenet, Cora Vaucaire et Jean-Roger Caussimon. Je donne ce spectacle tous les cinq ans. C’est un très beau récital, qui fait plaisir aux spectateurs.
Fragil : Toujours durant le festival, vous incarnerez Calchas de La belle Hélène d’Offenbach. En quoi le mélange des genres est-il essentiel dans votre itinéraire d’artiste ?
E-P : Je fais en sorte de ne jamais m’ennuyer, en mélangeant les genres. Calchas est un rôle où je me défoule, où je laisse aller ma folie sur scène. « La belle Hélène » est un spectacle que l’on reprend régulièrement et dans lequel je peux aller dans des excès incroyables, avec des passages de jeu très poussé. De plus, avec Offenbach, c’est intéressant parce qu’il y a du sens.
Fragil : Quel est votre plus grand souvenir d’interprète ?
E-P : Les dialogues des carmélites sont un grand souvenir de mise en scène. Les critiques ont été très bonnes et je les ai ressenties comme une petite revanche face à certains directeurs qui ne m’avaient pas fait confiance auparavant. Même si on a du talent, si l’on n’a pas la possibilité d’être là où il faut, quand il le faut et avec les gens qu’il faut, il est très difficile de faire ce métier. Il faut savoir se vendre et je n’ai pas ce talent-là. Les professionnels devraient aussi davantage se montrer curieux et se déplacer. Le constat est amer : c’est un métier magnifique mais terrible !
Fragil : Comment définiriez vous votre idéal d’artiste ?
E-P : Il me faut absolument m’exprimer et savoir pourquoi je monte sur scène. J’ai besoin de faire rire et pleurer, de faire éprouver les sensations que j’éprouve aux autres. C’est certainement là le but d’un interprète, voir des gens bouleversés et avoir le sentiment de les changer. Un artiste peut transformer un spectateur. Si je n’ai plus les moyens de le faire, je passerai à autre chose.
Propos recueillis par Christophe Gervot
Photos bannière : CC dmealiffe sur Flickr.
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