"Le graff c’est comme le sport, il faut s’entraîner, être assidu et pratiquer longtemps"
Rencontre avec Moner, graffeur nantais
À la ville, c’est Guillaume. Sur le mur, c’est Moner. Jeune homme de 25 ans. Diplômé d’une école de graphisme. Depuis six mois, il travaille pour l’association nantaise +2 Couleurs et concilie ainsi travail et passion. Un chanceux me direz-vous ? Surtout un artiste talentueux qui parle du graff avec des étoiles dans les yeux et nous fait partager sa passion avec enthousiasme. Rencontre avec un des graffeurs nantais de référence qui a exposé au Lieu Unique pour l’exposition Faire le mur.
Fragil : Moner, pour faire connaissance, raconte-moi ton parcours de graffeur. Comment es-tu arrivé dans ce milieu ?
Moner : Et bien, c’est vers 15 ans que j’ai fait mon premier dessin. Je n’avais pas vraiment de passion dans la vie mais j’aimais la culture hip hop. Avec un ami, on s’est demandé : "qu’est-ce qu’on peut faire dans ce milieu-là ?" Rapper c’était beaucoup de travail, danser on n’était pas doué pour ça alors on s’est dit, le graff, c’est le plus facile. Et pour ne pas se taper la honte, je n’ai pas commencé directement à la bombe, d’abord j’ai dessiné pendant environ deux années, pour travailler mes lettres. Et puis je suis passé à la bombe sur un mur.
Tu n’as donc pas débuté dans le graff par revendication, par défi ou par rejet de la société ?
Non, ça c’est une idée que beaucoup ont de ce milieu-là mais c’est un cliché. Pour ma part, c’est avant tout un truc égocentrique. Je veux que les gens sachent que j’existe. Je pense qu’on entre dans le graff pour exister d’abord et avant tout, et non pas pour revendiquer quelque chose. C’est très égocentrique de mettre sa signature sur un mur, de se dire qu’on lit mon nom. La signature, c’est une présence dans l’espace public. Beaucoup de noms apparaissent et puis disparaissent bien vite. On appartient au mouvement graff quand on passe la barre des cinq ans. Au bout de cinq années de signature, c’est qu’on a le truc.
Selon toi, comment se perfectionne-t-on dans cet art-là ? Et apprend-on le graff comme on apprend une autre discipline artistique, que ce soit le dessin ou la peinture ?
Je compare souvent le graff au sport. Pour arriver loin dans ces deux disciplines, il faut pratiquer longtemps, il faut s’entraîner, il faut être assidu et concentré et la compétition n’est jamais loin. Avec notre association +2 Couleurs, on organise des ateliers graff avec les enfants et c’est toujours ce qu’on leur dit. Il faut bosser pour s’améliorer.
Et toi, personnellement, comment arrives-tu à te renouveler dans cet art-là ? En peinture par exemple, on varie les techniques (huile, acrylique…), dans le graff, ça se passe comment ?
On est en perpétuelle progression, notamment au niveau du remplissage des lettres, du dégradé dans les couleurs, du style du trait. On évolue surtout dans le dessin des lettres. Quand on se rend compte qu’on peint toujours les mêmes lettres, c’est qu’on est arrivé au bout, mieux vaut s’arrêter. Au fil des années, les graffs sont de plus en plus illustrés pour mettre en avant le lettrage. Et puis on se renouvelle aussi en s’inspirant : les vieilles pubs, le graphisme, le design, mais ça peut aussi venir de la bande dessinée ou des dessins animés. Le graff puise souvent son inspiration dans la culture populaire, c’est en cela qu’on le considère plus facilement comme un art populaire, bien plus que les autres disciplines artistiques. Moi, en ce moment, je travaille sur la science-fiction des années 70, comment on imaginait l’an 2000 à cette époque. Je vais voir ce qui va ressortir de tout ça.
Comment travailles-tu un graff, que ce soit seul ou à plusieurs ? Comment ça se déroule une création de Moner ?
"Je pense qu'on entre dans le graff pour exister d'abord et avant tout, et non pas pour revendiquer quelque chose"
Je regarde beaucoup ce qui passe dans la rue, les affiches, les ambiances visuelles… et je note sur des post it, ça peut être une couleur par exemple. Je commence toujours par un crayonné et ensuite j’y vais ! Bosser avec les autres, produire un mur à plusieurs, comme au Lieu Unique pour l’expo "Faire le mur", c’est inspirant aussi, il y a une force collective qui se dégage tout à coup. Il faut essayer d’être raccord avec les autres donc il faut échanger sur le thème qu’on va adopter, sur les couleurs aussi, pour être en harmonie. Côtoyer des graffeurs dont on aime le travail – comme Persu pour l’expo du LU – c’est motivant. Y a pas d’idolâtrie dans le graff mais poser son nom à côté de celui de Mode2 qui est une énorme référence dans le milieu, c’est réjouissant.
Le street art explose de plus en plus depuis quelques années, je pense à Invader ou Bansky, est-ce que tu peux m’expliquer la différence entre graff et street art ?
Le seul point commun, c’est que dans le graff ou dans le street art, on impose notre art. On va dans la rue, dire "regarde j’existe" mais la comparaison s’arrête là. Dans le fond, on ne fait pas du tout la même chose, ce n’est pas du tout le même travail. Il n’y a pas de lettre et pas forcément de trace. Nous, on laisse une trace dans la ville. Par exemple, cette anecdote : sur les quais de Loire, sur un mur légal, on était quelques-uns à avoir fait des graffs. Des élèves d’une école – qui avaient certainement un travail à faire sur l’art dans la rue – ont recouvert nos graffs avec leurs affiches. Tu vois bien qu’on n’est pas du tout dans le même esprit !
Mais, grâce aux artistes de street art qui sont en quelque sorte "à la mode" en ce moment, on a ouvert la porte des musées aux graffeurs, non ?
Je ne crois pas, non. Pour moi le street art découle du graff et pas l’inverse. Les premiers à avoir fait du street art, ce sont des graffeurs. Et puis ces graffeurs ont dévié en se mettant à faire des personnages ou des logos (comme Invader), parce que ça se voit plus que du lettrage et puis ça paraît moins agressif au public donc c’est plus vendeur. Le graffeur a encore une image de gangster collée à la peau. Les gens ont l’impression de voir un message subversif à travers un graff.
Et justement, comment expliques-tu cette "mauvaise réputation" ?
Ça a toujours été. Je ne sais pas bien pourquoi parce que moi, je me sens existé oui, mais en aucun cas subversif. Je ne revendique rien. De temps en temps, je peins un truc qui pose une question mais c’est tout. Un jour, qu’on graffait sur un mur légal avec des potes, y a un mec à vélo qui passe et qui nous lance "C’est moche et ça pue la politique de gauchiste". Bon ! Qu’est-ce que tu veux répondre à ça ?!
Pour finir, parlons de ton collectif +2 Couleurs, de quoi s’agit-il exactement ?
Antoine, alias Meyer – qui est à l’origine de cette association il y quatre ans – s’est dit il y en a qui "gratte" sur ce phénomène du graff, qui se font de l’argent sur le dos des graffeurs alors essayons d’empêcher cela et faisons respecter le travail des graffeurs. Moi je l’ai rejoint il y a six mois : on organise des initiations pour les jeunes des maisons de quartier ; on fait de l’événementiel comme des portes ouvertes et des soirées graff ; on fait des décorations de murs pour des particuliers et on développe des expositions, ce qui est notre principale ambition. Que l’association soit productrice d’œuvres et d’expos afin de partager la culture graff avec le plus grand nombre.
Propos recueillis par Delphine Blanchard
Photos : Patrice Molle
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