Chronique Opéra
Des « Dialogues des carmélites  » à « Elektra  » : Palimpsestes niçois 2/2
De Sophocle à Richard Strauss, en passant par Hofmannsthal : dans les affres du deuil
La saison de l’opéra de Nice s’est achevée par une production de « Elektra  » de Richard Strauss, d’une puissance électrisante. Inspiré de la tragédie de Sophocle, le drame antique d’Electre a trouvé une nouvelle actualité dans la Vienne du début du XXème siècle, en mal de repères, dans un monde à l’agonie et une perturbante fin de règne.
Ce n’est pas un hasard si l’une des scènes centrales du texte écrit par Hugo Von Hofmannsthal, en 1903, est le récit d’un rêve perturbant que Clytemnestre fait à sa fille Electre. Nous sommes à l’aube, dans la patrie de la psychanalyse. Fasciné par ce texte de théâtre qu’il découvre à Berlin, Richard Strauss en propose une adaptation pour l’opéra. C’est sa première collaboration avec Hofmannsthal et la création aura lieu en 1909.
Nous jouions toutes des folles, et nous en devenions folles nous-mêmes.
Le désordre d’Electre est très émouvant tant il rappelle combien toute idée de rangement peut être compliquée, à la suite d’un deuil ou de tout autre drame qui bouscule la vie.
L’expression de la névrose
L’œuvre repose sur le deuil impossible d’Electre, dont le père a été assassiné par sa propre mère, et sur son désir de vengeance. D’une durée de deux heures et donnée en un acte, l’opéra explore les dérèglements de la famille des Atrides et leurs névroses. Lors de la création, Ernestine Schumann-Heink, créatrice du rôle de Clytemnestre, affirmait : « Nous jouions toutes des folles, et nous en devenions folles nous-mêmes ». La production montée par l’opéra de Nice vient du Théâtre Mariinsky de Saint Pétersbourg, dans une mise en scène signée par Jonathan Kent. Le décor est saisissant et porte en lui toutes les fractures de la tragédie. Construit sur deux étages, la partie inférieure est le monde d’Electre, un entassement d’objets et de meubles, mêlé à des ordures, dans un incroyable désordre. C’est un sous-sol, une cave, ou la métaphore d’un tombeau. A l’étage, un intérieur bourgeois et cossu, le lieu d’une vie qui continue, malgré tout.
Le mythe revisité par l’intime
Le désordre d’Electre est très émouvant tant il rappelle combien toute idée de rangement peut être compliquée, à la suite d’un deuil ou de tout autre drame qui bouscule la vie. Electre néglige aussi sa tenue vestimentaire. Elle porte un pantalon de survêtement rouge, complètement usé. Le seul luxe qu’elle s’offre est d’enfiler, parfois, la veste de son père Agamemnon. Le spectacle est d’une profonde vérité. C’est une partition où l’on peut hurler la douleur de l’absence, et danser la rage de la vengeance accomplie, en un ultime élan de vie. La distribution réunie est totalement investie dans cet opéra dévastateur. Ewa Podles construit une Clytemnestre torturée, qui étouffe dans sa culpabilité, par une voix profonde, parfois rauque et caverneuse. La révélation du spectacle est Larissa Gogolevskaia, qui se donne corps et âme dans le rôle titre, monstrueux et écrasant, à l’image du gouffre qui se creuse lors de la perte incompréhensible d’un être cher, et de sa détermination à le venger. Elle est une Electre écorchée, sans âge, mais adolescente, d’une poignante authenticité.
Cette saison 2010-2011 de l’opéra de Nice, qui a vu s’enchaîner des distributions inouïes, a été une succession d’émotions incroyables. Elle a mis en évidence les liens qui unissent la littérature et l’opéra, en de fascinantes réécritures, véritables palimpsestes. En octobre, le ballet « Marco Polo », donné au théâtre national de Nice, était une variation sur ce thème. Inspiré des « Villes invisibles » de Italo Calvino, le spectacle, monté par Luciano Cannito, interrogeait le réel, le beau et l’illusion. L’empereur, dansé par le magnifique Eric Vu An, directeur artistique du ballet de l’opéra de Nice, faisait songer au récit de Marguerite Yourcenar : Comment Wang-Fô fut sauvé. Encore une belle proposition de l’opéra de Nice, avec de multiples résonances. Mais toute mise en scène n’est-elle pas une réécriture ?
Christophe Gervot
Photos : ©D.Jaussein
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