CONFÉRENCE
Le Théâtre du Soleil : les rescapés de la folle utopie
À l’occasion de la venue à Nantes, en mai, du spectacle "Les Naufragés du Fol Espoir", Georges Banu, critique de théâtre, professeur à la Sorbonne et auteur de nombreux essais, est intervenu pour une conférence retraçant la folle épopée du Théâtre du Soleil et de son commandement de bord, Ariane Mnouchkine. Retour sur l’histoire de cette compagnie de théâtre définitivement pas comme les autres.
"Le maître, c’est quelqu’un qui se trouve au-delà de la bataille, qui a acquis la paix. Moi je ne connais pas la sérénité". Cette sentence de Mnouchkine explique bien son refus de toute idée de suprématie dans l’histoire théâtrale française. Considérée par beaucoup comme une légende vivante – son Théâtre du Soleil est une référence en France et dans le monde entier, au point que souvent circule cette phrase à son propos : "Mnouchkine est comme Venise, une légende qui ne déçoit pas" – pour autant, elle poursuit ses combats utopiques et continue d’afficher son éternelle confiance dans le pouvoir que peut avoir le théâtre sur la Société.
La révolte féministe
Issue d’une famille juive et russe, Ariane Mnouchkine a un parcours littéraire des plus classiques jusqu’à son entrée à la Sorbonne au début des années 1960. À cette époque, la réputation du Théâtre Antique de la Sorbonne n’est plus à faire (on y retrouve notamment Roland Barthes et Jean-Pierre Miquel), elle décide donc de rejoindre la troupe... c’était sans compter sur le machisme ambiant qui la relègue à la couture et à la confection des costumes, activité hautement féminine, évidemment ! Qu’à cela ne tienne, Ariane Mnouchkine créée sa propre troupe ; elle en devient vite le "leader effectif" : "à la différence du leader institutionnel qui vient de l’extérieur, le leader effectif est choisi par le groupe. Mnouchkine c’est ça. Elle a été naturellement choisie pour piloter tout ce petit monde" explique Georges Banu.
Persistance de l’utopie
"Ariane Mnouchkine est éprise de lumière donc d’espoir, le Théâtre du Soleil n’est pas un nom choisi au hasard. Elle est en quête de lumière. Elle refuse la nuit qui est assimilée à la face cachée du Monde. Mnouchkine ou la persistance de l’esprit utopique : l’utopie sociale, l’utopie politique, l’utopie comme dépassement des crises du réel". Penser et vivre le théâtre comme un acte humaniste et socialiste, c’est la vision idéaliste de la charismatique metteuse en scène. Et cette quête d’un idéal — pas toujours formulée, d’ailleurs, mais malgré tout bien présente dans tous ses spectacles – est accompagnée d’une vie de groupe et d’un travail de troupe particulier. Quand on vise une utopie, il faut tout mettre en œuvre pour y accéder, ce travail forcené est aussi une caractéristique du Théâtre du Soleil.
"Le maître, c'est quelqu'un qui se trouve au-delà de la bataille, qui a acquis la paix. Moi je ne connais pas la sérénité". A.M.
Les trois "commandements" de la troupe
La vocation pédagogique : à chaque spectacle, le Théâtre du Soleil se réinvente en assimilant un nouveau vocabulaire et s’inspire des formes théâtrales ancestrales afin de transmettre culture et savoir-faire traditionnels. Si la façon de faire du théâtre d’Ariane Mnouchkine est résolument moderne, elle sait néanmoins se retourner vers le passé pour y puiser les enseignements essentiels et nourrir sa créativité. Ainsi pour "Le Capitaine Fracasse", ce sont les formes artistiques marginales qui sont réhabilitées : les jongleurs, les bateleurs, l’esprit de foire... Pour "Mephisto", les costumes élisabéthains côtoient le kabuki (forme épique du théâtre japonais traditionnel). Avec "Tambours sur la digue", c’est le retour du théâtre de marionnettes. Dans "L’Âge d’or", la Commedia dell’Arte vient renforcer le propos résolument moderne de la pièce dont le message était, en substance, à l’horizon 2020 tous les capitalistes auront disparu... utopie quand tu nous tiens !
L’ascension : pour Ariane Mnouchkine, "rester au même niveau, c’est décliner". Le Théâtre du Soleil ne monte que des spectacles grands formats, à l’ambition démesurée et où le dépassement de soi est une véritable religion.
La création collective : chaque membre de la troupe est partie intégrante des projets. "Tout se construit à partir d’une liberté interne du groupe" commente Georges Banu. Les comédiens ont tout le loisir d’improviser puisque l’improvisation est le matériau même de la création selon Mnouchkine. Le pendant à cette liberté est le dévouement total du comédien à sa troupe. "Vie privée et vie publique se confondent. Mnouchkine demande à ses acteurs une implication absolue. Tout le monde vit ensemble. Il n’y a pas d’horaire de répétition, tout le monde doit être disponible à tout instant" explique Georges Banu. Une vie communautaire qui peut, parfois, être difficile à supporter. L’exemple de Philippe Caubère est révélateur : après avoir fait partie de nombreuses années de la troupe du Théâtre du Soleil, la plupart de ses specatcles actuels sont joués seul en scène... comme un virage à 180 degré afin de se retrouver face à lui-même, après s’être dévoué corps et âme à une cohabitation étouffante.
"L’esthétique de l’escargot"
La façon même dont est pensée la structure de production et d’accueil du Théâtre du Soleil est atypique. Pour Ariane Mnouchkine, il y a trois pôles importants au sein d’un théâtre : le plateau où l’on joue, où l’on crée, où l’on essaye de changer le monde ; la cantine pour la sociabilité et la bibliothèque où l’on retrouve tous les textes publiés des pièces créées, ici encore, dans un souci de vocation pédagogique. "J’appelle ça l’esthétique de l’escargot. Mnouchkine porte sur son dos ce lieu comme l’escargot sa maison" ironise Georges Banu.
La Cartoucherie comme une maison où Ariane Mnouchkine est votre hôte. C’est d’ailleurs elle qui accueille le spectateur et vérifie son billet. Sa volonté première, avant même de donner du plaisir par ses créations : rendre le spectateur heureux dans son théâtre, faire en sorte qu’il se sente chez lui, qu’il puisse ensuite se laisser porter par la pièce. Une dimension socialiste des relations humaines qu’Ariane Mnouchkine défend avec vigueur et sincérité. Son besoin d’utopie est toujours bien présent : le théâtre comme le lieu qui résiste aux désillusions ; un lieu qui ne ressemblerait pas à l’autre côté de la rue... cette rue où personne ne porte attention à autrui, où l’individualité prime sur le collectif. Mnouchkine, elle, résiste ; une résistance comme une confiance en l’humain, croire qu’à force de dire sa révolte et de s’insurger, les choses vont finir par changer... Bienheureuse soit l’utopie !
Delphine Blanchard
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses